Victime, un mot très fort me direz-vous. Tout comme
Harcèlement.
Harcèlement moral, harcèlement scolaire, victime. Des mots
que je n’utilise que depuis très peu de temps, au final.
Auparavant, je n’utilisais pas de mots pour ce que je
ressentais. C’était ma vie, mon quotidien, ma normalité.
Je suis la petite dernière d’une grande famille recomposée.
J’ai été élevée avec mes trois grands frères. Dont deux jumeaux qui ont vu mon
arrivée dans la famille comme un fardeau. Ils se suffisaient bien à eux deux.
Les jumeaux ont cette relation très spéciale qui fait qu’ils ne se sentent
jamais vraiment seuls. Je comprends aujourd’hui seulement, à 28 ans, qu’être la
petite sœur de jumeaux n’a pas dû être simple pour moi.
J’étais une petite fille très demandeuse d’attention et de
câlins. J’étais très collante avec ma
mère notamment. Je recherchais sans cesse ce « jumeau » que je
n’avais pas. N’ayant pas d’attention de ces vrais jumeaux dont je jalousais la
relation, j’étais sans arrêt en train de les embêter. Nous avons eu une
relation conflictuelle toute notre enfance et adolescence. Nous ne sommes
malheureusement pas très proches. Ils voient encore en moi cette petite sœur
qui leur a un peu volé leur mère, et qui n’a fait qu’être un poids pour eux.
De mon côté, mes frères, ce sont ceux qui ne m’ont pas
protégés, qui ne se sont pas occupés de moi, qui n’ont fait que me rejeter.
J’ai donc été très vite habituée à jouer seule, à me suffire
à moi-même. Je recevais beaucoup d’amour de la part de ma mère, mais je me
souviens surtout de ma solitude. Et d’ailleurs, j’aimais beaucoup jouer seule.
Je lisais énormément, et j’inventais des histoires avec mes poupées et mes
peluches. C’était un havre de paix que je m’étais créée.
Donc, à la maison, j’étais la petite dernière qui prenait
beaucoup de place et qui parlait beaucoup pour ne rien dire.
A l’école, c’était tout autre chose.
Les maîtresses disaient souvent à ma mère que j’étais
souvent dans la lune. Je ne parlais quasiment pas. J’avais peu d’amis, voir pas
du tout.
Je ne sais pas comment cela a débuté. Pourquoi ce
harcèlement a commencé. Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’avais fait de mal
pour qu’on me rejette ?
Aujourd’hui encore, je n’ai pas vraiment de réponses.
Certains souvenirs de ma vie à l’école primaire s’estompent,
d’autres resteront gravés en moi, et ne me quitteront certainement jamais.
N’ayant pas d’amis, je passais toutes mes récréations à
marcher, à faire le tour de la Cour. Seule.
Aujourd’hui, quand j’y pense, je me dis que si j’étais une
maîtresse d’école, et que je voyais chaque jour la même élève être seule
pendant la récréation, j’aurai une réaction. N’importe laquelle !
Alors voilà, je marchais, et j’imaginais des histoires dans
ma tête. J’étais une princesse, une héroïne, une guerrière. Je vivais de folles
aventures. Je m’évadais. J’étais n’importe qui. Je n’étais surtout pas cette
petite fille, grelottant de froid et marchant dans la Cour, seule, jour après
jour.
A l’école, j’étais plutôt bonne élève. Mon père était fier
de sa fille.
J’avais une amie en dehors de l’école, que je voyais
régulièrement.
Dans ma famille, je n’étais pas proche de mes frères, mais
j’avais des petits neveux et nièces, plus jeunes que moi, avec qui je
m’entendais énormément bien. C’est avec eux que j’ai mes plus beaux souvenirs
d’enfance.
C’est arrivé en CM1-CM2 que certains souvenirs les plus
violents me sont les plus clairs.
On m’a fait changer d’école.
Il faut savoir qu’à changement d’établissement, il y a un
espoir. Cet espoir de changement. « Peut-être vais-je me faire enfin des
amis cette fois-ci ? Peut-être que je vais être moins seule ? »
Je n’aime pas l’espoir. L’espoir amène forcément à la
déception. Et c’est la déception qui est la plus insupportable à subir.
Donc me voici en CM1-CM2, dans cette nouvelle école.
Je ne suis pas belle. J’ai de grosses lunettes. Je suis très
blanche de peau et très maigre. (et quand je regarde les photos de l’époque, je
me dis que ma mère m’habillait de façon à ce que, vraiment, je sois victime de
moqueries. Mais ça, ce n’était pas de sa faute. Et je crois que même habillée
d’une autre façon, j’aurai été moquée pareil. Je pense.)
Il faut bien se rendre compte d’une chose. Etre seule n’est
pas le problème. Le problème c’est se sentir seule entourée de plein de monde.
Etre seule quand on a décidé de l’être, c’est reposant. Etre
seule dans la Cour en observant les autres s’amuser tous ensemble, c’est
triste.
Etre seule quand on doit trouver une place à la cantine pour
manger, c’est pire que tout.
Je ne mangeais presque rien à cette époque, si j’avais pu
éviter d’aller à la cantine, je l’aurai fais.
Comment voulez-vous éprouver du plaisir à manger, quand tout
le monde discute et ris autour de vous, vous qui êtes seule à devoir décider à
quelle table remplie vous allez devoir vous greffer ?
La Honte. La Honte ne me quittait pas. La Honte ne me
quittera jamais.
Le problème, c’est qu’en plus d’être seule, j’ai commencé à
subir ce « harcèlement scolaire » dont parle EnjoyPheonix. Ce
harcèlement scolaire qui ne m’a plus jamais quitté tout le long de ma
scolarité.
On se moquait de mes lunettes, de la blancheur de ma peau,
de mon rire, de mes chaussettes, de tout et de n’importe quoi, de moi tout
simplement.
Je n’ai pas de scènes plus fortes qu’une autre dont je me
souvienne. J’étais dans une classe avec beaucoup de garçons. Ces garçons
avaient décidé que je serais leur tête de turc. Et je le resterais.
Quand je vous parle d’espoir et de déception. C’est par
exemple quand deux petites filles de ton âge décident de commencer à te parler,
et puis décident tout à coup que non, finalement, tu n’es pas assez bien pour
elles. Alors, elles te laissent seule à nouveau.
Pas assez bien. Pas assez bien.
Chez moi, dans ma famille, je ne dis rien. Je parle toujours
beaucoup. Mais je ne dis rien de tout cela.
On n’est pas conscient de la gravité de ce qui nous arrive
quand on est enfant. On le vit, point. On ne se rend pas compte qu’il faudrait
le dire.
A 9 ans, j’ai fais une fugue.
Mes parents n’ont pas compris, mes frères ont accueillis mon
retour à la maison en me lançant un regard noir et en me disant à quel point
j’avais dû trouver ça drôle. Mes frères n’ont jamais eu les réactions que
j’aurai eu envie qu’ils aient avec moi. J’aurai préféré qu’ils s’inquiètent,
qu’ils me prennent dans leurs bras.
Durant cette fugue, tout ce à quoi j’ai pensé, c’est que je
n’irai certainement plus à l’école.
J’ai une ou deux amies qui sont dans la même école que moi,
mais pas dans la même classe.
Et d’ailleurs, ces deux amies dont je parle, nous avons
également une relation bien spéciale. J’ai également souvent le rôle de
faire-valoir, voir même de victime.
Je me demande d’ailleurs pourquoi nous ne jouions pas
ensemble dans la cour de récréation. Certains souvenirs s’estompent…
Donc, le midi, parfois, j’ai la « chance » de ne
pas déjeuner à la cantine avec les autres élèves, mais chez les mamans de mes
deux amies.
J’ai un problème avec la nourriture. Et j’en prends
conscience à cette période.
Je n’arrive jamais à finir une assiette, et la mère de l’une
de mes amies me force toujours.
Aujourd’hui, quand j’y pense, j’en ai la nausée.
Mes « amies » tenaient un carnet dans lequel elles
notaient quand j’avais eu le courage de manger.
« Aujourd’hui, C. a mangé deux grains de riz. »
Elles rient. Elles n’ont pas conscience du mal qu’elles me
font. Mais cette fois-ci, moi, je ne ris pas. Je pleure, je pleure énormément.
On doit retourner à l’école. Elles descendent pour monter dans la voiture. Mais
moi je reste dans cette chambre, avec ce carnet qui me prouve à quel point,
encore, je suis différente, à quel point j’embête le monde. J’aimerais
disparaître.
Je n’ai pas envie d’aller à l’école.
Un autre souvenir, un autre repas. Cette maman, qui a fait
de mes repas hors cantines un enfer, nous propose exceptionnellement comme
dessert des cornets de glace.
Quel bonheur ! J’adore la glace !
Dans mon malheur, je me rends compte en déchirant le papier,
qu’il y a de petites arachides sur le dessus. Je n’aime pas ça. Je me souviens
même avoir eu la langue qui me piquait quand j’en avais mangé une fois
auparavant.
L’autre maman n’en a rien à faire, elle me dispute. Elle ne
supporte pas le gâchis.
Alors pour avoir la paix, je mange. Je mange. Je mange.
La nausée arrive, j’ai des sueurs froides.
Je retourne à l’école nauséeuse. Je dois quitter la classe
en urgence pour vomir tout mon repas.
Nous avons découvert que j’étais allergique aux arachides.
Je ne pardonnerais jamais à cette maman de m’avoir obligé à
manger cette glace.
L’arrivée au collège a été une autre étape dans ce
harcèlement scolaire, dans ma solitude, dans ma souffrance.
Je m’éloigne de « mes amies ». Les garçons qui se
moquaient de moi à l’école sont dans le même collège et continuent leur
harcèlement.
L’établissement est plus grand. Je suis dans une nouvelle classe.
J’ai bon espoir.
Je me fais quelques copines, je joue aux cartes le midi dans
un genre de « foyer ». La vie est un peu moins compliquée.
Et puis je fais la connaissance des filles « à la
mode ». Celles à qui on voudrait ressembler. Celles avec qui on aimerait
devenir amie.
Quel bonheur, quelle surprise. La roue a peut-être
tournée ! Je prends un peu confiance en moi. Je n’entends plus les
moqueries. Je me lance à cœur perdu dans cette nouvelle amitié.
Avec le recul, je me dis que j’aurai du voir venir le piège.
Mais faire l’autruche, c’est devenu ma spécialité, encore aujourd’hui.
Un midi, ces « amies » me demandent d’apporter
tous les manteaux du groupe dans la classe. Et des manteaux, il y en a
beaucoup. C’est un gros groupe d’amis, dont je suis fière de faire partie.
Trop heureuse de leur rendre ce service, je m’exécute.
Je trouve porte close, évidemment, les classes sont fermées
entre midi et deux, pourquoi n’y ai-je pas pensé ?
Alors je reviens pour rendre les manteaux.
« Tu es vraiment stupide. Tu n’as toujours pas
compris ? On se fiche de toi depuis des semaines ! Tu crois vraiment
qu’on est tes copines ? »
Je rigole. C’est sans doute une plaisanterie.
J’ai des sueurs froides, je rougis. Je sens quelque chose
qui remonte le long de mon corps. Un monstre tapis dans mon dos.
« C’est pas une blague. Dégage. »
Ce n’était pas une blague. Mon univers s’écroule.
Quand on est adulte, on se dit que des embrouilles entre
fillettes de cet âge-là, ce n’est pas grave. Ça arrive. Et puis, la gamine se
fera d’autres amis. La vie continue.
L’adulte ne comprend pas. Il ne comprend pas qu’à partir de
cet instant-là, je passe à nouveau toutes mes récrés seule, à subir les
moqueries des autres. Je suis seule en classe.
Seule avec ma honte. Honteuse d’être ce que je suis,
honteuse d’avoir cru être leur amie, honteuse de tout.
J’ai cette image de moi, sous un arbre, sous la pluie. Ils
n’ouvrent pas les classes à la pause de midi. Même quand il pleut. Il y a les
préaux, me direz-vous. Mais sous les préaux, il y a tous les autres, les ennemis, ceux qui se
moquent.
Alors je préfère rester sous la pluie, sous mon arbre,
pendant une heure. A grelotter et à penser à autre chose.
Après les moqueries, viennent même les actes physiques.
Je me souviens encore de cette fois, où cette élève que je
ne connaissais que de vue, à voulu épater la galerie en me donnant un énorme
coup de pied entre les jambes.
Elle a fait ça devant tout le monde. Tout le monde a rigolé.
J’ai rigolé.
Aujourd’hui encore je m’en veux. Pourquoi ai-je
rigolé ? Pourquoi ne lui ai-je pas rendu son coup ? Pourquoi ne me
suis-je jamais défendue ?
J’ai reçu ce coup de pied, et j’ai eu mal, très mal. Mais
j’ai rigolé avec tout le monde. Surtout ne pas se faire remarquer. Surtout
rester dans les rangs.
J’aimerais disparaître, à jamais.
Je ne pleure pas. Je ne dis rien à mes parents. Ni à mes
frères. A personne. Je suis seule avec ma souffrance. Avec ma honte.
A la fin de ma 5ème, mon père part en retraite,
et décide de déménager dans le sud de la France.
Je me vois séparée de mes neveux et nièces avec qui j’avais
une belle relation. Je me vois obligée de dire adieu à mes deux amies les plus
chères que je vois en dehors du collège et qui atténuent un peu l’enfer que je
vis au quotidien.
Une partie de moi vit très mal ce déménagement. Une autre,
ne peut s’empêcher d’avoir de l’espoir.
Et oui, ce bon ami l’espoir. Comme la honte, il ne m’a
jamais réellement quitté.
Je m’imagine une toute autre vie. Un groupe d’amis supers.
Un collège où personne ne me connait, où personne ne sait quelle personne sale
et faible je peux être.
Cette nouvelle vie va m’apporter enfin ce bonheur auquel
j’aspire, j’en suis sûre.
J’arrive dans le sud durant les vacances d’été, en pleine
canicule. La première nuit, je la passe sur le carrelage frais tellement j’ai
chaud. Je me prends à espérer qu’il ne pleuvra plus jamais.
Dans mon cœur, la pluie n’a jamais cessé.
J’aimerais vous dire que mes rêves se sont réalisés. Mais
quand on est une victime, quand on le croit sincèrement, on le reste. C’est
écrit sur nous à l’encre indélébile.
J’étais une assez bonne élève, en 4ème mes notes
ont commencé à chuter.
J’ai vécu à peu près les mêmes choses qu’auparavant. J’ai eu
des déceptions. J’ai rencontré un groupe de filles « à la mode » qui
m’ont finalement laissé tomber. Mais je n’étais plus seule durant les récrés.
J’avais quelques copines.
La vie n’était pas simple, je subissais encore des
moqueries, mais j’étais en quelques sortes habituée.
J’ai rencontré durant cette période une amie qui l’est
encore aujourd’hui. Une amie qui, comme moi, subissait des moqueries. Je
n’étais plus seule. Nous étions deux pour supporter ce fardeau.
Je me fichais bien de ce que les autres pensaient, j’avais
mon amie avec moi. J’avais trouvé mon alter égo.
Malheureusement, le harcèlement créé des séquelles. Quand on
pense que le plus dur est derrière nous, notre corps et notre esprit ont des
réactions qui parfois nous effraient. On ne sait pas d’où cela vient. On se
questionne. On ne pense pas au harcèlement, on ne pense pas aux moqueries.
C’est notre lot quotidien.
Dans ma famille, rien ne va plus. Mes frères sont partis
faire leurs études supérieures, et moi je reste seule avec mes parents qui ne s’entendent
plus. Les cris sont insupportables. La colère gronde.
A 16 ans, mes parents décident de se séparer. Je pars vivre
avec ma mère dans une grande ville, abandonnant mon père dans sa belle maison
du sud, avec sa piscine, son jardin et ses vignes.
L’espoir revient encore. Je me dis encore une fois que dans
ce nouvel établissement, personne ne me connait. Je me trouve un peu plus jolie
qu’avant. Je me mets à espérer la rencontre avec un garçon.
Je ne suis jamais sortie avec personne. J’ai bien eu quelques
amourettes. Mais jamais de vrais baisers, jamais de gestes tendres avec un
garçon.
Je m’espère à nouveau un groupe d’amis solide, une belle
rencontre. Une vie parfaite de petite citadine.
J’arrive dans ce nouveau lycée, et encore une fois on m’intègre
à un groupe de filles « à la mode ».
C’est quoi des filles à la mode pour moi ? Ce sont
des filles dont personne ne se moquent. Qui ont des petits copains. Qui sont
sûres d’elles. Ce sont des filles à qui j’aurai voulu ressembler.
Un week-end, je vais au cinéma avec elles. Toute heureuse de
cette nouvelle vie, je n’aurai jamais pu imaginer la bombe qui s’apprête à
s’écraser sur moi.
Après la séance, nous discutons. Ou plutôt, elles discutent
entre elles. Personne ne fait attention à moi, on ne me regarde même pas. Je
pourrais être ailleurs que ce serait la même chose.
Une angoisse sourde monte en moi, j’ai déjà vécu ça, je le
sais, mais je fais l’autruche, je fais taire cette petite voix. Je fais
« comme si de rien n’était ».
Quand je retourne en cours le lundi suivant, je vais pour
faire la bise à ses filles, et en rigolant, elles se détournent.
Les sueurs froides reviennent, les rougeurs à mes joues,
cette bête remonte le long de mon dos. Je le sens, quelque chose est en train
de se détraquer en moi.
« Pour être amie avec nous, il va falloir que tu
changes. On ne veut pas de quelqu’un comme toi. Reviens-nous voir quand tu
auras réfléchis à tout ça ».
Aujourd’hui, quand j’y pense, je me demande encore pour une
fois pourquoi je n’ai rien dis. Pourquoi j’ai laissé cette fille me parler avec
autant de mépris ?
Mais non, je n’ai rien répondu. Je suis restée immobile. Mon
monde venait de s’écrouler.
Auparavant, je n’avais jamais craqué, j’avais toujours pris
sur moi pour tout. Je n’avais jamais eu de réaction violente. Je ne voulais
surtout pas montrer à qui que ce soit comment cela pouvait m’affecter.
Cette fois-ci, une tempête s’est déchaînée en moi. J’ai
demandé à quelqu’un de m’emmener à l’infirmerie. Et j’ai craqué.
Mon corps, mon esprit, je ne contrôlais plus rien.
J’ai pleuré comme je n’avais jamais pleuré auparavant. Je ne
pouvais pas parler. Je n’ai fais que pleurer.
Je ne me souviens pas de ce que j’ai raconté à ma mère en
rentrant chez moi ce jour-là. Tout ce que je sais, c’est que cette fille a été
la goutte d’eau. Ma vie n’allait plus jamais être la même à partir de ce jour.
Les crises d’angoisse ont commencé. Les décrire avec
précision est très compliqué, car aujourd’hui, fort heureusement je n’en fais
plus.
Dans ces moments-là, j’avais l’impression que j’allais
mourir. J’en étais sûre. Un gouffre noir s’emparait de mon corps, toute logique
me désertait. J’allais mourir.
Tout devint source d’angoisse pour moi, et j’en avais
désormais conscience.
Marcher dans la rue devint compliqué. Je sentais tous les
regards sur moi. Je me sentais jugée, laide, nue. L’impression que tout le
monde me voyait comme le monstre que j’étais.
Aller en cours devint un véritable enfer. Je faisais souvent
l’école buissonnière. Je passais mes journées dans les magasins. Je connaissais
par cœur le centre commercial à côté de chez moi.
J’étais angoissée à l’idée de sortir de chez moi et de
marcher dans la rue, mais l’idée d’aller en cours et de revoir ces filles était
pire que tout le reste additionné.
Mes résultats scolaires ont évidemment chuté. J’étais
incapable de me concentrer sur quoi que ce soit. Tout ce que je faisais,
c’était survivre. Tenter de garder la tête au-dessus de l’eau.
Manger devint également encore plus angoissant pour moi.
Toute nourriture devint sujet à suspicion et crise d’angoisse.
Mon corps me faisait horreur. Je me faisais horreur. J’étais
un monstre.
Je n’étais pas assez bien pour les autres, et je me
demandais encore pourquoi.
Le divorce de mes parents n’a pas été facile à vivre. Mon
père criait beaucoup, ma mère ne se défendait pas assez.
La colère vit le jour chez moi. Je n’avais jamais réagi
pendant des années à tout ce harcèlement et cette violence physique et morale.
Il fallait désormais que cela sorte.
Je me disputais souvent avec mes frères. Ils
m’insupportaient. Tout ce qu’ils faisaient ou ne faisaient pas était sujet à
dispute.
Mon père me faisait vivre également un enfer. Il souffrait
d’avoir été abandonné par ma mère, alors il nous le faisait payer à nous, ses
enfants. Je n’avais pas les armes pour me défendre.
C’est donc sur ma mère que se portait alors ma colère.
Ma douce et tendre mère, cette personne que je chérie le
plus au monde. Nous vivions toutes seules, l’une sur l’autre, et notre relation
s’est forgée en quelque chose d’encore plus intense durant cette période.
Elle fut présente pour moi, elle ne me força pas à aller en
cours, elle m’épaula.
Et moi, j’allais vers elle pour le réconfort, pour parler,
mais aussi pour crier. Elle a été la personne sur qui toute ma colère et ma
rancœur a réellement éclatée. Elle se laissait faire, elle savait que ce
n’était pas contre elle.
Cette colère que je ressentais contre tout le monde, je sais
aujourd’hui qu’elle était surtout envers moi-même.
J’ai laissé les autres me traiter de la sorte parce que
c’était ce que j’étais, c’est ce que je suis. Je suis une victime.
En plus des crises d’angoisse, il y avait les allergies, des
plaques sur tout le corps. Mon corps me dégoutait, me grattait, m’insupportait.
Je me dégoutais.
Je commençais alors à écrire. Des histoires que je
commençais sans jamais les terminer.
Notamment une histoire qui, je ne le comprendrais que plus
tard, fut le reflet d’un mal encore plus grand et encore plus dévastateur. Un
choc que j’avais vécu dans ma petite enfance, et qui allait façonner ma vie à
jamais.
Pour passer le bac de français, ma mère a fait venir mon
amie, ma sœur de cœur, chez nous. C’est elle qui m’a emmené passer l’examen.
Elle m’a attendu juste à côté de la porte de la salle. Elle avait peur que je
ne m’enfuis.
Avec elle, j’ai eu moins de mal à revoir mes camarades de
classe. Je sais qu’ils me regardaient comme une paria, mais je n’étais pas
seule, j’étais avec cette personne de confiance, et c’est tout ce qui comptait.
Quand on subit le harcèlement scolaire, quand on est assis
dans une salle de classe. On a l’impression qu’on est constamment observé. Dès
que des personnes parlent entre elles et qu’on n’entend pas ce qu’elles disent
distinctement, on a toujours l’impression qu’elles sont en train de parler de
nous et de se moquer.
Ça ne vient pas de nulle part. C’est pour toutes les fois où
on surprend des conversations où on parle de nous avec dégoût et méchanceté. Je
ne sais pas ce qui est pire, entendre les moqueries, ou les deviner.
On a chaud, on a froid, on est mal à l’aise.
Quand j’y pense maintenant, je me rends compte de la torture
que cela a dû être.
Imaginez, passer des jours et des jours, des années, assis
dans une salle remplie d’ennemis, sur une chaise. A tenter de respirer
normalement, à tenter de faire comme si de rien n’était. A avoir envie de
disparaître. Et c’est ce que j’ai vécu toute ma scolarité.
Je me rends compte aujourd’hui de tout le courage, et toute
la force qu’il m’a fallu pour supporter cela.
Je m’en veux de ne pas avoir réagis, je m’en veux de les
avoir laissé me parler comme ça. Je m’en veux de ne pas avoir rendu les coups.
Je m’en veux de n’avoir rien dis.
La culpabilité, la honte et l’espoir ne sont jamais loin.
Encore à 28 ans.
On m’a enlevé mes crises d’angoisses quand j’avais 25 ans. C’est
un hypnotiseur qui a réussi. J’avais vu avant lui pas mal de psychologues.
J’ai eu du mal à passer mon permis. J’ai mis 10 ans à l’avoir.
Je ne supportais pas d’être enfermée dans une pièce bondée avec d’autres
personnes pour étudier le code. Je ne supportais pas les cours de conduite où j’étais
sans cesse jugée par un examinateur.
N’importe quel examen me fiche la trouille. Je ne supporte
plus aucun jugement de qui que ce soit.
J’ai échoué six fois à l’examen du permis.
Avoir quelqu’un qui m’observe me fait perdre tous mes
moyens. Cela me renvoie à la petite fille que j’étais : Monstrueuse et « pas
assez bien ».
J’ai rencontré des hommes, évidemment. Mais quand on est une
victime, on l’est aussi en amour.
Je suis souvent tombée sur des pervers narcissiques. Ils créent
un climat de confiance, ils sont ces espèces de sauveurs qui vont régler tous
vos problèmes. Une fois qu’ils vous ont pris dans leurs filets, que vous êtes
totalement subjuguées, commence alors la maltraitance.
Quand on est une victime, les autres le savent, le sentent.
Je dirais même plus, quand on est une victime, on a du mal à
faire confiance aux bonnes personnes. On a tendance à ne s’ouvrir qu’aux gens
sûrs d’eux. On est attiré par ces personnes qui ont tout ce que nous n’avons
pas. Qui sont tout ce que nous ne sommes pas.
J’ai 28 ans, je suis célibataire, ma vie est loin d’être
celle que j’ai rêvé durant toute mon enfance et adolescence.
Je suis adulte, et pourtant, à certains moments, je suis à
nouveau cette petite fille qui aurait envie de disparaître.
Parfois, je suis à nouveau cette petite fille qui se demande
pourquoi elle souffre autant, qui se demande qu’est-ce qu’elle a bien pu faire
pour subir tout ça.
Je suis cette petite fille qui a juste envie qu’on l’aime.
Je n'ai pas écris cette chronique pour me plaindre, ou pour qu'on ressente de l'empathie pour moi. Je l'ai écris parce que cette nuit je me suis réveillée à 4h du matin, avec à nouveau ce sentiment de culpabilité que je ressens pour tout et n'importe quoi. Et du coup, j'avais besoin d'évacuer tout ça. Par écrit.
Le harcèlement scolaire, on en parle de plus en plus ces derniers temps, et je trouve cela formidable. J'espère que, pour l'avenir, cela évitera à certaines personnes de subir ce que moi et d'autres nous avons subis, et que cela leur évitera également toutes les répercussions dans leur vie d'adulte.
A tous ceux qui ont vécu le harcèlement, je leur transmet toute ma sympathie et mon amour. Sachez que vous êtes merveilleux, que vous êtes dignes d'amour, et je vous conjure de vous aimer vous. Personne d'autre que vous-mêmes ne pourra mieux vous aimer.
A tous ceux qui ont fais subir ou font subir ce genre de harcèlement, je vous conjure d'arrêter, je vous conjure de comprendre que vos actes ne restent pas sans conséquence. On est pas obligé d'aimer tout le monde, mais on peut au moins faire quelque chose : Laisser les autres en paix !
A ma mère que j'aime plus que tout et qui a su me soutenir quand il le fallait.
A mes amies qui sont encore là, malgré mon caractère bien particulier et mes envies d’être seule. Sachez que je vous aime et que cet amour durera toute la vie, peu importe l'avenir.
Je n'ai pas écris cette chronique pour me plaindre, ou pour qu'on ressente de l'empathie pour moi. Je l'ai écris parce que cette nuit je me suis réveillée à 4h du matin, avec à nouveau ce sentiment de culpabilité que je ressens pour tout et n'importe quoi. Et du coup, j'avais besoin d'évacuer tout ça. Par écrit.
Le harcèlement scolaire, on en parle de plus en plus ces derniers temps, et je trouve cela formidable. J'espère que, pour l'avenir, cela évitera à certaines personnes de subir ce que moi et d'autres nous avons subis, et que cela leur évitera également toutes les répercussions dans leur vie d'adulte.
A tous ceux qui ont vécu le harcèlement, je leur transmet toute ma sympathie et mon amour. Sachez que vous êtes merveilleux, que vous êtes dignes d'amour, et je vous conjure de vous aimer vous. Personne d'autre que vous-mêmes ne pourra mieux vous aimer.
A tous ceux qui ont fais subir ou font subir ce genre de harcèlement, je vous conjure d'arrêter, je vous conjure de comprendre que vos actes ne restent pas sans conséquence. On est pas obligé d'aimer tout le monde, mais on peut au moins faire quelque chose : Laisser les autres en paix !
A ma mère que j'aime plus que tout et qui a su me soutenir quand il le fallait.
A mes amies qui sont encore là, malgré mon caractère bien particulier et mes envies d’être seule. Sachez que je vous aime et que cet amour durera toute la vie, peu importe l'avenir.